Berceuse de la Mère-Dieu
Marie Noël
Mon Dieu qui dormez faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon coeur qui bat,
J'adore en mes mains et berce étonnée
La merveille, ô Dieu, que vous m'avez donnée.
De fils, ô mon Dieu, je n'en avais pas.
Vierge que je suis, en cet humble état,
Quelle joie en fleur de moi serait née ?
Mais Vous, Tout-Puissant, me l'avez donnée.
De bouche, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d'ici-bas...
Ta bouche de lait vers mon sein tournée,
Ô mon fils, c'est moi qui te l'ai donnée.
De main, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las...
Ta main, bouton clos, rose encor gênée,
Ô mon fils, c'est moi qui te l'ai donnée.
De chair, ô mon Dieu, vous n'en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas...
Ta chair au printemps de moi façonnée,
Ô mon fils, c'est moi qui te l'ai donnée.
De mort, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas
Pour sauver le monde... Ô douleur ! là-bas,
Ta mort d'homme, un soir, noire, abandonnée,
Mon petit, c'est moi qui te l'ai donnée.
Marie Noël